Avant de commencer à parler de tout ce que représentent les travaux dérivatifs, il est important de les définir, afin que le profane sache exactement à quoi il a à faire.
Un travail dérivatif (appelé « doujin/同人 » en japonais et « derivative work/fan work » en anglais), c’est tout simplement toute création amateure créée autour d’une oeuvre déjà existante par des fans, et qui de ce fait, n’est pas une création officielle par le créateur de l’histoire ou de l’univers dont il s’inspire.
Concrètement, il s’agit donc de tout contenu créé par des fans, qu’il s’agisse d’histoires écrites (fanfictions/doujin novels/fanzinat), de dessins/illustrations (fanarts), de bandes dessinées/mangas (Doujin manga, plus communément appelés « Doujinshi »), de musique (doujin music), de goodis (porte-clés, posters, badges) ou encore de créations vidéos (animation, memes, AMVs, etc). Il en existe donc une multitude, de toutes formes et de toutes langues, répartis sur de nombreux sites internet à travers le monde.
Les créateurs de travaux dérivatifs peuvent agir seuls, mais également faire part de collectifs, ou « doujin/同人 ». Ces cercles de doujin rassemblent de ce fait des personnes qui partagent une même passion autour d’un ou plusieurs sujets. Par exemple, CLAMP, qui a publié de nombreux mangas, est en réalité un doujin circle regroupant plusieurs femmes. Les cercles de doujins sont principalement présents en Asie, mais on peut également en trouver certains en occident, même s’ils restent rares.
Si la culture du travail dérivatif peut aussi être appelé doujin, il faut comprendre que ce dernier mot englobe en réalité plus de contenus, car il désigne au sens large les contenus créés par des amateurs/créateurs non professionnels: un doujin peut donc être une création totalement originale, comme un fan work. Toutefois, l’aspect qui va nous intéresser ici est celui du fan work, ou création inspirée par une oeuvre déjà existante. C’est ce qui vous sera donc présenté dans cette catégorie. Mais avant cela, un dernier point sur le monde des doujins en général…
Si l’univers des doujins est encore un peu timide en France, il s’affirme de plus en plus dans les conventions, grâce aux espaces réservés aux jeunes créateurs et aux artistes dans les allées. On y trouveras surtout des créations originales, et pas ou peu de travaux dérivatifs. comprenez par là que les doujin novels et doujins mangas restent donc encore assez rares (vous en trouverez bien plus dans de très grandes conventions comme les Japan Expo par exemple, que dans les conventions de province), et qu’on trouve surtout des posters, cartes postales, badges ou encore porte clés. Mais même si la législation reste assez floue quant à la commercialisation de contenu créé par des fans reprenant un univers existant, ce n’est pas tant l’aspect légal, mais tout simplement le marché, qui n’est pas encore prêt ou assez développé pour cela.
La culture du doujin en France tend à favoriser les œuvres originales publiées en auto-édition par leurs créateurs (ex: Stray Dogs par Vanrah, Chronoctis Express par Aerinn, Shinobi Iri par Tengu Ren/LEEN, etc), et c’est tout à fait normal, car le contexte et la culture anime/manga n’est pas le même.
Ces œuvres originales seront compilées en de grands volumes faisant 100 à 300 pages, et vendus aux alentours de 10 à 20 euros pièce, tandis qu’un doujin manga fera traditionnellement 10 à 40 pages, et sera vendu pour la modique somme de 2 à 5 euros pour les moins chers, et jusqu’à 15 euros pour ceux avec le plus de contenu. Les formats ne sont donc pas les mêmes de base, et nous avons également été moins habitués en France aux formats épisodiques que proposent les comics américains (un chapitre publié individuellement en format papier, vendu en moyenne entre 1 et 5 dollars/pièce).
Mais il y a également le fait que la cible de public n’est pas forcément la même, tout comme le type d’histoires racontées. Au japon, beaucoup de doujinshi ont un contenu sexuel (majoritairement homosexuel, avec le boy’s love/yaoi), et sont donc réservés à un public averti (comprenez: + de 18 ans). En France, les conventions sont ouvertes à tous les âges, et même s’il existe des stands vendant uniquement des mangas yaoi ou du hentai (contenu purement pornographique), ils sont généralement présentés de façon à ne pas choquer les passants.
Je m’amuse toujours à aller jeter un œil aux stands vendant du contenu pas pour les enfants (+18) parce que ça m’amuse de voir comment les vendeurs censurent les parties ‘sensibles’ de certains artworks. J’ai déjà vu des tétons recouverts de scotch noir opaque *rigole*. Parfois, ils placent aussi des bouts de cartons dessus. Mais ça n’empêche pas les « hommes/femmes de culture » de se rincer l’œil!
Aree
Le fait que les deux tiers des doujinshis produits au Japon portent sur un contenu sexuel a d’ailleurs porté la fausse conception selon laquelle un doujinshi contiendra forcément du contenu pornographique. Ce qui est absolument faux. Doujin n’est pas égal à contenu sexuel. Ni même à yaoi/boy’s love. Il y a une multitude de sujets abordés, de personnages, de pairings/ships (=couples)… Maaaaais, il fait l’avouer, s’ils se vendent aussi bien au Japon, c’est bien à cause de ce contenu piquant. Ce qui nous amène donc au marché Français: non seulement les conventions ne sont pas adaptées pour y vendre ce type de contenu, mais en plus, le public ne va pas forcément aller dessus. C’est qu’on est un peu plus timides ici, et « l’homme de culture » moyen (c’est ainsi que sont désignés les lecteurs de ecchi/hentai) préféreras chercher du contenu rendu gratuit sur le net, et passer ses sous en convention sur le dernier tome de Jujutsu kaisen ou de Food Wars.
Le Japon dispose également d’un véritable marché organisé autour des doujinshi. Il existe tout au cours de l’année de multiples événements dans tout le Japon, où des centaines, voire milliers de personnes, vendent leurs travaux lors de conventions spécifiquement dédiées aux doujinshi. On peut par exemple citer le SUPER COMIC CITY (Osaka),ou encore le TOKYO FES. (Tokyo).
Il existe même un événement majeur, le COMIKET (abréviation de « Comic Market »), qui se produit deux fois par an, et dont l’entrée est totalement gratuite! Elle se tient depuis 1975 au Tokyo Big Sight, et accueille à chaque édition 500 000 à 700 000 personnes.
Pour comparaison, la Japan Expo à Paris accueille en moyenne 200 000 à 250 000 visiteurs sur toute la durée du salon. C’est donc 2, voire près de 3 fois plus de personnes qu’à la Japan Expo! Mais à la différence de la Japan expo qui accueille des panels, des maisons d’éditions, et organise des activités sur à la fois les anime/manga, jeux vidéos et culture asiatique en général, le Comiket est un immense marché indépendant réservé aux amateurs, avec tout de même une partie réservée aux professionnels.
Il faut également noter que le Comiket accueille aussi des cosplayers, et que plusieurs exposants amateurs sont par la suite devenus des professionnels dans les secteurs du manga ou de l’animation, car ayant été repérés par d’autres professionnels venus recruter de nouveaux talents. L’événement sert donc à partager sa passion, mais également à promouvoir ses travaux originaux, ce qui en fait un lieu important dans l’industrie de l’animation et de l’édition japonaise.
Les doujins ne sont donc pas encore beaucoup développés en France, mais comme les Light Novels prenant un peu plus d’essort ces dernières années, il se pourrait que les mentalités changent. Non seulement les réseaux de distribution dématérialisés se sont structurés (les auteurs de webcomic et de mangas originaux vont avoir tendance à aller sur de grosses plateformes, comme Webtoon, Webnovel, ou encore Tapas pour gagner de la visibilité), mais la promotion passe désormais par les réseaux sociaux, avec en tête Instagram et Twitter pour l’occident, et Pixiv et Twitter pour l’asie. C’est un peu comme si un comiket permanent avait été créé sur le net, permettant de faire découvrir à un large public sa propre création. Reste à savoir si les éditeurs français suivront le pas, concernant les Light Novels. Car si le monde de l’édition française de mangas commence à s’ouvrir aux mangaka français (exemple concret: Vanrah qui est à présent publiée chez Glénat), les Light Novels sont encore à la traîne.
Toutefois, il se pourrait que la publication de doujin novels et de doujin mangas en ligne permette de développer un peu plus le marché. Qui sait, après tout, si un travail dérivatif ne vous ouvrira pas les portes de votre propre série originale officiellement publiée?
Pour en savoir plus sur l’univers des doujin en général, vous pouvez consulter les sites suivants: